dimanche, mars 09, 2008

Racisme au travail : ruses et astuces des Néoracistes


Paranos, fainéants, victimisation…tout un imposant arsenal théorique, argumentaire et rhétorique existe aujourd’hui pour disqualifier les résistances qui se développent face au racisme. Et le monde du travail ne semble pas à l’abri de cette mode qui trouve ses fondements dans la théorie de la « déculpabilisation », appelée aussi « mauvaise conscience ». A travers elle, on tente de justifier l’injustifiable. « Dans tous les cas », souligne Pierre Tévanian[1], « ce qui est nié est l’existence de processus sociaux de production des discriminations, en toute légalité, et par les institutions de la République elles-mêmes, masqués par un principe officiel de non-discrimination, rituellement proclamé mais quotidiennement bafoué ». A l’image de ces logiques de discrimination raciale qui interviennent au moment de la prise de fonction de la personne discriminée.
Si certaines pratiques de discrimination avant le processus d’embauche (discrimination par le patronyme, le lieu de résidence, filtre téléphonique, Sigles BBR…) sont connues, la réalité des pratiques après l’embauche est en revanche mal maîtrisée. Bien que moins connues, ces formes post-embauche de discrimination qui peuvent parfois prendre une tournure violente à l’image du cas Théodore Nkambo, s’expriment à travers de nombreuses pratiques allant de la simple blague de mauvais goût au harcèlement moral et racial de la victime. Une double violence, à laquelle en général la victime n’est pas préparée ; et si elle n’est pas sanctionnée, peut compromettre sérieusement la carrière de celle-ci. Malgré l’absence de chiffres officiels, de nombreux témoignages permettent d’apprécier l’ampleur du phénomène.


Dans le procès OSRAM, Théodore Nkambo, camerounais d’origine, victime de racisme dans son lieu de travail, vient d’être honteusement renvoyé à son cher martyr d’immigré indésirable. La justice a choisi son camp : protéger non pas la victime mais les bourreaux. Ceux qui ont érigé le racisme envers les personnes marquées du sceau de la différence culturelle en règle de vie professionnelle. Si le déni, l’hypocrisie, la loi du silence au sein du corps professionnel est souvent avéré, les séances au prétoire ne garantissent pas non plus une réhabilitation de la personne confrontée à ces pratiques. A celle-ci, on oppose souvent, l’insuffisance de preuves, ou encore l’insuffisance professionnelle parfois après plusieurs années de bons et loyaux services dans l’entreprise, pour justifier le délit. De l’ethnocorporatisme à l’ethnonationalisme, il existe une palette de motivations à l’origine de ces pratiques qui s’incarnent en règle général dans un jeu sournois, insidieux de nuisance professionnelle avec l’objectif non avoué d’obtenir le départ ou la démission de la personne.

L’ethnocorporatisme : « j’ai du mal avec ces gens là … »

« On est mieux entre nous, j’ai du mal avec ces gens là… ». L’ethnocorporatisme, version pratique de la préférence nationale, c’est l’ensemble d’attitudes et de pratiques discriminatoires qui permettent de justifier l’inacceptable. Appliqué à la politique, il donne le raisonnement sarkozien suivant : « j’irai les chercher, quoi qu’ils aient fait ». Le sous entendu dans cette phrase c’est de dire, je les défends parce qu’ils sont blancs comme moi, criminels ou pas. L’ethnocorporatisme pourrait s’entendre comme le fait de promouvoir des rapports sociaux sur la base d’une vision racialiste, culturaliste. L’invocation des origines culturelles, nationales est souvent le moteur des personnes que nous appellerons volontiers de néo-racistes en raison du contexte socioculturel et politique des rapports postcoloniaux entre dominants et dominés. Le néo-raciste vit mal la présence dans l’entreprise d’un collègue noir par exemple qu’il juge incongru, injuste, illégitime. Il pense que le collègue de travail noir ou autre a pris injustement la place d’un français de souche. Le néo-raciste a fait sien le slogan frontiste « la France aux français ». Il en est même imprégné de façon irrémédiable. Le néoraciste est torturé par l’idée de devoir travailler avec une personne différente par sa culture ou sa couleur de peau. S’il est supérieur hiérarchique, son horizon indépassable d’appréciation des qualités de son collègue reste les références à sa culture, à sa couleur de peau. Le collègue devient un objet racisé sur lequel va être posé non pas un regard objectif sur la qualité de son travail, mais un ensemble de représentations stéréotypées confinant en tous points à une forme de prophétie auto réalisante.

Solidarité ethnique

Un fonctionnaire raconte avoir été victime d’un odieux chantage de la part d’un collègue blanc qui simulait un détournement de chèques afin de l’accuser lui (on sait que les Noirs sont voleurs). Le supérieur hiérarchique était au courant de ces pratiques, mais au nom de la solidarité ethnique entre blancs, il fermait les yeux au lieu de dénoncer et sanctionner l’auteur des faits. Ce type de néoraciste se retrouve souvent dans les administrations publiques où le tri sélectif étatique par les concours (l’anonymat est la règle dans certains concours de catégorie B OU A) ne permet pas d’éliminer les candidats qui ne sont pas BBR. « Tu as réussi a échappé au filtre étatique par le concours, l’administration (sous entendu le personnel t’attend au tournant ». C’est le discours du néoraciste dont l’attitude va souvent consister à guetter la moindre faille ou à organiser le système de faille compromettant afin de rendre crédible sa compagne de nuisance. Après 7 années de bons et loyaux services dans une entreprise de BTP, M.L., irréprochable dans son travail, s’est quand même vu licencié pour faute grave. Le Chef d’entreprise ayant prétexté la violence de ce dernier à son endroit (les Noirs sont violents). La plainte aux prud’hommes révélera que les accusations de violence étaient infondées. Le néoraciste trouve toujours un argument pour justifier son comportement. Un chef de personnel justifie de ne pas accorder une promotion à D.X. en raison de sa couleur de peau. Les postes à responsabilité étant de postes où il faut entrer en contact avec le client. Pour la petite histoire, D.X formait des nouveaux recrus qui voyaient leur statut évolué en peu de temps. Le cas de Laurent Gabaroum, est à ce titre éloquent, ce franco-tchadien, surdiplômé et plusieurs années de « boîte » à son actif, qui a vu sa carrière bloquée chez Renault.

« On est chez nous, entre nous… », les « petits meurtres entre collègues »

Les employés d’origine extra-européenne ou non blancs sont parfois l’objet de délires et de fantasmes. Ainsi un supérieur hiérarchique justifia la mauvaise note qu’il attribua à un collègue noir parce que celui-ci l’aurait pris pour un raciste. Une confrontation fut donc organisé au sommet entre l’employé et le supérieur hiérarchique. A la question de savoir, pourquoi avez-vous mal noté Monsieur X alors que son dossier fait état d’une personne sérieuse, rigoureuse et consciencieux dans son travail et toujours bien notée : l’intéressé rétorqua : « je croyais qu’il me prenait pour un raciste au vu de son attitude ». Et le collègue noir de dire « Ah bon, donc sur la base de votre imagination vous vous êtes mis dans la tête que je vous jugeais raciste, avez-vous des preuves de ce que vous avancez ? Le néoraciste fut démasqué. En réalité la question de l’attitude est plus profonde. Il est question que la personne discriminée adopte un comportement qui rassure les fantasmes du néo. « Il est sympa, on rigole bien avec lui ». Il est vrai que le Noir rigolard arborant en permanence un sourire niais à l’image du joyeux batteur de tam-tam rassure le discriminant parce qu’il correspond à un des stéréotypes liés à sa couleur de peau.

S’il y a parfois ce type de dénouement, la majorité des actes de discrimination subit l’omerta administrative, cette loi du silence qui condamne la victime au placard et à l’isolement et réconforte le bourreau dans ses forfaits quotidiens. En général le néoraciste sait que s’il est démasqué il risque gros. Il sait aussi compter sur le silence des autres collègues blancs ou de la hiérarchie qui le protégera ou le réconfortera quoi qu’il arrive. Pour cela, il organise un système de solidarité ethnique en faisant courir des bruits et des rumeurs sur l’employé non BBR afin d’obtenir du soutien ou de l’approbation pour ses actes. Et c’est là qu’intervient la solidarité ethnique. Si le bourreau jouit d’une bonne position hiérarchique, les collègues de travail adoptent soit le silence ou deviennent des co-auteurs des forfaits afin d’être bien vus. C’est le fameux parapluie ethno corporatiste. Les liens de race contre la loi, la justice, le droit. Le fameux « on est chez nous, entre nous ». Certains collègues saisis par le doute de ces rumeurs tentent d’agir parfois en organisant en sourdine de contre-enquêtes. On piège ainsi la personne visée par des « petits services ». Ce sont des « petits meurtres entre collègues » qui visent à vérifier les fantasmes du néo. « L’aide » des collègues « amis » peut aller du sabotage à la rétention d’information en passant par le « contrôle » et le « renseignement » des faits et gestes de la victime. Le seul exemple connu à ce jour où les collègues blancs ont manifesté de la solidarité envers un collègue noir discriminé est celui de Thierry Badjeck, licencié le 16 juin 2006 de son entreprise ADP pour avoir traîné en justice cette institution pour discrimination dans l’attribution d’un poste de cadre[2].

Et l’Administration, les syndicats ? « Tu dois subir jusqu’à crever, si t’es pas content, tu dégages ».


« Avez-vous déjà vu une personne piégée dans le marigot demander de l’aide à un crocodile ? ». Le dicton africain résume assez bien le jeu qui s’instaure entre la victime et le système hiérarchique censé le protéger. La France est un pays organisé en système de réseaux : réseaux professionnels, réseaux amicaux, réseaux familiaux, réseaux syndicaux, réseaux maçonniques etc. Une sorte d’institutionnalisation informelle du népotisme ou du clanisme. Les personnes mises en cause bénéficient souvent de solides appuis au niveau syndical et hiérarchique. Dans une stratégie cousue de fil blanc consistant à ménager le chou et la chèvre, les organisations syndicales tout comme l’Administration ont tendance elles aussi à faire prévaloir les liens de race. Il n’est pas besoin de citer des exemples pour prendre la mesure du phénomène. Et pour preuve, dans le procès de Thierry Badjeck contre l’Aéroport de Paris, les syndicats ont brillé par leur absence de soutien. Le syndicalisme français n’est rien d’autre que la continuation de l’administration sur le registre contestataire, mais il obéit aux mêmes règles et procédés que celle-ci. A propos de l’Administration, la discrimination ou le racisme, c’est la maladie honteuse, la MST dont elle ne veut pas s’avouer contaminée. Elle préfère le silence de la personne à sa parole. Surtout pas de vagues ou sinon c’est le suicide professionnel. En gros tu dois subir jusqu’à crever, si t’es pas content, tu dégages. D’où le recours fréquent au licenciement comme solution pour mettre fin aux conflits liés au harcèlement racial, discrimination et racisme.

Et la médecine du travail ?

Aujourd’hui la médecine professionnelle semble prendre réellement en compte cette souffrance de la personne discriminée en raison des compagnes de sensibilisation. Il arrive parfois que certains médecins professionnels tirent la sonnette d’alarme, mais cela ne résout jamais le problème puisque les personnes en cause ne sont et ne seront jamais sanctionnées.


Et la victime dans tout cela : le combat de David contre Goliath


Avoir le cul entre deux chaises, c’est jamais chose facile dans une vie. Entre protéger son emploi et se lancer dans une bataille interminable contre l’injustice et le respect dans laquelle l’on ne sera pas forcément entendu et gagnant relève d’un exercice d’équilibriste. Mal armées et outillées au niveau de leurs droits, les personnes parlent peu et adoptent une position de victime qui du coup conforte le bourreau. Mais c’est surtout la violence des pratiques qui désarment les personnes sur fond de haine raciale injustifiée. Il s’agit presque d’un viol tant il y a à la fois le déni et le mépris de la personne sur fond d’aryennisme. On peut dire que le racisme et la discrimination dans les entreprises se nourrissent aussi bien du silence des victimes que de la surdité du personnel. Que faire ? On évitera ici un catalogue à la Prévert des démarches à entreprendre dès le moindre incident. Toutefois, on peut recommander aux victimes d’éviter impérativement de rester isoler, consigner par écrit tout acte et avertir par courrier recommandé la hiérarchie dès le moindre écart avéré tout en s’avisant auprès d’un spécialiste le caractère raciste des faits en cause. Elles ne doivent pas oublier que c’est par la tête qu’on achève le serpent.


Et les organisations antiracistes ?


Toutes les études montrent en France que les organisations antiracistes ont échoué dans leur lutte contre le racisme et les discriminations, malgré les moyens colossaux dont elles peuvent bénéficier de la part des pouvoirs publics et le soutien des médias. Réduites aux rôles de plateformes de lancement de carrières politiques, elles sont progressivement devenues de tonneaux vides en raison du bruit qu’elles provoquent dans leurs actions. Celles-ci ne sont malheureusement pas aussi exemptes de hiérarchisation tant elles montrent une différence de traitement, d’empressement, de condamnation en fonction des affaires. Le déclin de l’action anti-raciste s’explique aussi par l’instrumentalisation communautariste de certaines associations.


La Halde et les nouvelles associations communautaires


La faillite du combat antiraciste a précipité l’émergence et la visibilité des associations d’essence communautaire. Pour autant la donne a-t-elle changé ? Ces associations disposent-elles d’expertise viable et crédible en matière de discriminations à l’emploi. Rien n’est moins sûr. Bien qu’il faille reconnaître leur bagout pour leur propre médiatisation, ce qui n’est pas en soi une mauvaise chose, il faut bien se rendre à l’évidence qu’il y a loin entre la dénonciation incantatoire et les actions concrètes (celles qui consistent par exemple à se porter partie civile ou à soutenir les personnes victimes). Toutefois, gardons nous de jeter la pierre, car ces associations sont encore jeunes et c’est l’avenir qui fera leur réputation. Quant à la Halde, instrument de sanction et de prévention, son rôle de bureau d’enregistrement des plaintes est déjà une bonne chose pour les victimes, mais son fonctionnement rappelle trop celui des organisations anti-racistes dont les slogans sont restés de vœux pieux.

article de Welobo






[1] Pierre TEVANIAN, La République du mépris, La découverte, 2007.
[2] Article afrikara du 21 juillet 2006, Discrimination aux ADP ? Historique, un Noir concerné et trois collègues blancs solidarisés accusent !

2 commentaires:

Anonyme a dit…

nombre de réactions à cet article très intéressant ici ---> http://lesogres.org/article.php3?id_article=3420#forum176182

A l'occasion j'ai découvert "identitenegre" et je compte revenir régulièrement. :-)

Anonyme a dit…

Ce qui manque ce sont les actions, mais les discours aussi ça sert de formeuler les luttes.