lundi, mars 31, 2008

Africain, Noir, Black, Kamite… : quels enjeux autour de l’auto-désignation ?


Une importante littérature scientifique eurocentriste tend à imposer l’idée selon laquelle les Noirs des temps anciens n’avaient aucune représentation d’eux-mêmes ni d’autres groupes humains. Cette littérature donne l’impression que le Noir n’a ni réfléchi sur lui-même ni sur les autres, et est réduit éternellement au statut d’objet de l’Histoire de l’humanité. « Plongé dans la couleur noire de la nuit » d’après le philosophe allemand Hegel, « l’homme noir » aurait été défini et pensé essentiellement par l’Autre. Et cet « Autre » aurait définitivement figé d’avance dans le marbre de l’histoire la nature de son être et de son statut. Mais bien avant la littérature scientifique européano-centriste, les écrits arabes ont aussi versé dans le dénigrement de l’homme de couleur. Al Kindi, un auteur arabe du XI siècle parle des Zendjs (noir en arabe) des peuples aux lèvres pendantes, au nez aplati et gros et au cerveau réduit.

Depuis « Nations nègres et culture » (1954) du savant sénégalais Cheikh Anta Diop, l’histoire des peuples noires semble s’être remise en mouvement. La vulgarisation des travaux du scientifique sénégalais a sonné le glas à plusieurs siècles d’ignorance et de fraudes scientifiques. C’est à partir de ces travaux que semble se mettre en place un processus salutaire de labellisation identitaire se traduisant par l’abandon des dénominations classiques, lourdement chargées, Noir, Africain, Black, Homme de couleur au profit de l’ethnonyme très underground « kamit » issu du négro-égyptien (Km-(niw)t). L’usage substitutif de cet « ethnonyme » authentique illustre un mouvement profond de remise en cause des assignations identitaires subies par « l’homme noir » dans le passé, mais surtout frappe de caducité une certaine écriture de l’histoire qui a souvent réduit celui-ci à un statut d’homme sauvage, maudit, esclave, simplet, arriéré, a-historique.

Pendant la période antique, plusieurs vocables ont servi à désigner l’humanité noir : Maure, Maurus, Sudan, Africanus, Aethiopios, ces dénominations ont tantôt désigné le lieu géographique, tantôt décrit l’anatomie de l’homme noir.

Maure, habitant de l’ancien Mauretania, région du nord de l’Afrique, qui désigne aussi le conquérant musulman de l’Espagne (D’après le dictionnaire Robert) ;

Africanus renvoie à (Afrique), de Ifriqya, nom d’origine latine désignant une tribu berbère ayant colonisé la Turquie ;

Aethiopia correspondrait au pays des Couschites, déscendants de Cousch fils de Cham d’après la littérature théocratique.

Les termes Noir, Black sont d’usage plutôt récent et contemporains de la période esclavagiste, contrairement au terme plutôt neutre de Nègre qui est antérieur « à l’émergence historique des primitifs francais, anglais, portugais, espagnols, belges, hollandais, polonais, allemands, etc., c’est-à-dire avant les indigènes de l’Europe actuelle » (Cf : Bilolo Mubabingé, africamaat). Contrairement aux anciennes dénominations génériques de l’homme noir ( maure, aethiopios, coushites…), les termes black et Noir sont racialement connotés et chargés négativement et font référence à la saleté, à la souillure, à la clandestinité, à l’illégalité (marché noir, travail au black etc). Il est surprenant de voir d’ailleurs que le peuple noir est le seul à être identifié, fixé, rattaché à sa couleur de peau de façon presque quasi systématique et exclusive. Il y a donc un usage idéologique des ethnonymes précédemment cités. De la même manière qu’elles signent l’instauration d’un type de relations intergroupes, ces désignations du « Kamit », devrait-on dire désormais, sont des indicateurs symboliques des contenus représentationnels associés à l’humanité nègre.

S’il y a un lien étroit entre le nom d’un groupe et son « identification », il apparaît donc nécessaire que les peuples de Kemet aspirent à une redéfinition des désignations formulées par d’autres et qui collent à leur peau. L’acte de s’autonommer va de pair avec l’autonomie, il fixe les limites aux autres et permet de se mettre au centre de sa propre histoire.

Dans le cas précis du CRAN (Conseil représentatif des Associations noires de France) par exemple, bien qu'il s'agisse de réappropriation du "stigmate" dans une dynamique politique, il faut craindre un enfermement, une clôture des peuples noires dans une identité racialisée, uniquement mélanodermique. Certes la société d'accueil renvoie aux déscendants de Kemet, leur noiritude, mais c'est aux déscendants de kemet de répondre par l'histoire et la culture. Une conscience identitaire fondée sur la matrice de l'histoire et de la culture s'inscrit d'avance dans le temps.

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