lundi, mai 21, 2007

Congo-Brazzaville : le business de la foi, un véritable fléau social

Ils se disent eux-mêmes « rescapés par la foi ». Les adeptes des nouvelles églises qui ont essaimé un peu partout dans la capitale brazzavilloise n’imaginent même plus leur vie sans dieu abandonnant pour certains, mari, femme, enfants, famille, travail… C’est dire de l’influence considérable des églises de réveil sur leurs fidèles. Fatigués par des lendemains incertains, minés par la crise sociale, nombreux sont les congolais qui ont échoué dans ces nouvelles religions, d’importation surtout kinoise (RDC), qui fleurissent comme des champignons d’un bout à l’autre de la capitale. De Bifouiti à Moungali, de l’avenue de l’OUA à l’avenue Itoumbi, le nombre de parcelles transformées en lieux de prière, abritant en réalité des sectes, ne cesse d’augmenter. Si les autorités avancent le chiffre de 288 sectes religieuses en règle, il en demeure autant en situation irrégulière. Et le phénomène n’est pas prêt de s’arrêter tant le pastorat est devenu pour beaucoup d’animateurs des nouvelles églises un gagne-pain sérieux. Mettre à profit les maux qui assaillent les congolais, tel semble être le mot d’ordre de ces nouveaux marchands de dieu. A défaut du porte à porte, c’est la voie publique qui est réquisitionnée par les prosélytes qui font prière de tout bois pour attirer les adeptes dans leurs cultes devenus pour certains de vraies superettes d’illusions. En témoignent ces histoires qui sont loin d’être de petites anecdotes que la rue congolaise aime parfois à colporter, derrière lesquelles se lisent de vrais drames familiaux. Elles nous ont toutes été rapportées vécues de près ou de loin par celles et ceux qui ont connu ou connaissent encore l’enfer des sectes. Entre banale affaire d’escroquerie et histoires de mœurs, le burlesque n’est parfois pas très loin du sordide.

Marie Antoinette, appelons là ainsi, ne sait plus à quel saint se vouer depuis que son fils a rejoint un de ces lugubres mouvements religieux d’obédience charismatique. Son malheur, c’est de ne plus du tout le voir. Ce dernier l’accuse de sorcellerie. Pour entrer en contact avec lui, elle doit d’abord observer un jeûne de 30 jours. C’est la condition pour faire fuir le démon qui est en elle, d’après le fils illuminé. Lequel, plongé dans la prière, voici deux ans, aurait trouvé auprès d’un gourou, la délivrance. Les histoires de mère-sorcière ou mère-démon ne datent pas d’aujourd’hui. Mais elles ont pris de l’ampleur avec les nouveaux cultes. A la moindre contrariété de la vie, on s’empresse d’accuser son géniteur. Loin d’être un cas isolé, le parcours de ce fils ressemble à celui des centaines de jeunes congolais qui ont choisi pour s’en sortir le chemin des nombreuses églises de réveil (par opposition à l’Eglise traditionnelle qualifiée d’église de sommeil, assertion qui a aussi sa part de vérité) que compte désormais la capitale. A l’image de ce jeune étudiant de 27 ans qui a perdu toutes ses économies environ 2 millions de FCFA pour un hypothétique voyage en Europe chez un pasteur « illuminé » au final pas très catholique. Tout aussi affligeant le sort de ces femmes mariées abandonnant maris et enfants pour aller servir dieu dans ces sectes et qui se retrouvent, en fin de compte, compagnes du gourou. Maris-démons, enfants-démons, les histoires de sorcellerie sont à l’origine de l’éclatement de nombreux foyers. Ainsi, l’embrigadement sectaire de certaines femmes les a conduites soit vers l’abandon du domicile conjugal soit au divorce. Pour les maris, lorsque la femme n’a pas adhéré au culte, c’est le refus pour certains de manger la nourriture de Madame qu’ils jugent impure. Mais le chemin vers « dieu », via les sectes, est parfois sans retour lorsque d’autres se retrouvent entre la vie et la mort, après avoir observé un jeûne de plusieurs jours. Cette pratique très prisée par les mordus des nouveaux cultes est en passe de devenir un véritable sport populaire qui se pratique seul ou en famille. Ainsi un père de famille, de surcroît médecin, a été amené à faire subir à ses enfants une semaine d’abstinence alimentaire afin dit-il de chasser les démons. La croyance veut qu’elle libère de tous les maux.


5000 FCFA pour une bénédiction avec un seul doigt
Dans le chapelet des affaires ayant trait aux nouveaux cultes, l’escroquerie tout comme la manipulation ravissent la palme. Mariée à un cadre, Jacqueline est plutôt une SDF (Sans Difficulté Financière). Elle raconte avoir participé avec son mari à une séance de bénédiction pour le moins étrange. Après avoir entrepris pour ses problèmes de conception un marathon auprès de différents guérisseurs des nouveaux cultes, ils sont finalement tombés sur un spécialiste de la bénédiction libératrice. Mais le couple ignorait que cela se faisait moyennant espèces sonnantes et trébuchantes. Ils réaliseront la supercherie au moment de la séance tant attendue censée redonner espoir au couple. Le gourou demande en effet aux deux époux pour combien ils veulent se faire bénir ? Avec seulement 5000 FCFA en poche, ce jour là, le couple ne repartira qu’avec une bénédiction prononcée avec un seul doigt. Au final, sans effet. Que dire des jeunes femmes sans le sou à qui les gourous font miroiter une bénédiction en échange d’une partie de jambes en l’air. Dans ce marché de dupes, les enchères sont évidemment élevées. Entre 5000 FCFA et 1MFCFA le prix d’une bénédiction, selon qu’elle est pratiquée avec un seul doigt, deux doigts, une main ou deux mains. De ces affaires la liste est longue et fourmille de cas des plus ahurissants. Du plus naïf des adeptes au plus averti comme ce médecin, personne ne semble être à l’abri. Nul ne résiste en effet aux pouvoirs sombres de ces églises qui ont une influence considérable sur leurs adeptes. Le bon sens semble même faire défaut à quelques notables du pays qui y ont échoué... Car, certaines sectes, vous l’aurez deviné, ont une préférence pour ceux qui tiennent les leviers du pouvoir. Comme quoi Allah ou Yahvé est toujours obligé…

Ce qu’il faut dire c’est que certaines églises de réveil sont devenues de véritables business et leurs gourous de vrais businessmen au sens plein du terme. Ils y voient un moyen comme un autre de gagner leur vie. Pas étonnant que dans un pays où le chômage touche plus de la moitié de la population active, de nombreux chômeurs déguisés se sont reconvertis dans le pastorat. A la suite, la plupart du temps, nous dit-on, d’une « illumination », d’une « révélation divine ». Le pastorat est ainsi devenu une voie de reconversion professionnelle parmi tant d’autres. Il ne demande ni qualification, ni diplôme requis. Tout juste de quoi embobiner les consciences c'est-à-dire une maîtrise du verbe et quelque connaissance des évangiles. Ainsi, certains cultes sont carrément devenus des pompes à fric extorquant au besoin leurs fidèles à travers une pratique de remise d’offrande appelée mabomza. Cette pratique ressemble un peu plus à une sorte de vente de “dieu” aux enchères, le salut divin au plus offrant. Nombreux sont les responsables des sectes qui se sont enrichis avec ce système en incitant les fidèles à se dépouiller de leurs biens parfois les plus précieux. On a vu ainsi des hommes et des femmes rivalisaient d’offrandes en liasses de billets de FCFA, bijoux de valeur, objets précieux. Pour le plus grand bonheur des gourous qui n’hésitent pas à revendre le butin ainsi récolté. « Dieu n’a pas de prix », « Un bon serviteur ne regarde pas sa main qui donne », scandent certains prêcheurs des nouvelles églises qui rivalisent autant de boniments que de pratiques farfelues à l’endroit des adeptes pour mieux les exploiter. De l’eau bénite à l’imposition des mains, en passant par les histoires de marcheurs sur l’eau, de chasseurs de démons ou encore de lavement du corps au Mounganga (savon local) qui doit aussitôt déclencher l’apparition du Christ, la liste est longue aussi bien de pratiques que de légendes sectaires douteuses. Mais elle en dit en long sur l’ampleur de ce qu’il faut bien considérer un fléau social.

Il n’est pas de symptômes plus saisissants de la décadence des sociétés africaines que l’effrayante prolifération des églises de réveil. Aucun pays africain n’est épargné par le phénomène des nouvelles sectes religieuses qui s'y implantent et s'y développent à un rythme qui échappe à tout contrôle. Couples brisés, familles divisées, enfants abandonnés: son ampleur est tel qu’il s’agit bien d’un véritable fléau social aux conséquences aussi dévastatrices que la pandémie du SIDA. Pour saisir la force subversive de ces nouvelles religiosités, il n’est qu’à prendre la mesure des dégâts au sein de nombreuses familles à travers des histoires sus évoquées pour le moins étranges, emblématiques de l’éclatement de la cellule familiale, sans cesse en augmentation, dans la capitale brazzavilloise. A ces histoires dissimulant en réalité de vrais drames familiaux, il n’y a pas vraiment d’épithètes qui conviennent à accoler. Aussi bouleversantes qu’enrageantes, elles traduisent sinon concentrent le profond mal ontologique de l’être africain. Car il faut bien se rendre à l’évidence qu’il s’agit là d’une véritable lame de fond, n’en déplaise à ceux qui verront à travers ces mots qu’une énième partition afropessimiste de la chanson désormais bien connue de la lente agonie du Continent. Pour ceux qui l’auraient peut être oublié, la pénétration étrangère en Afrique s’est réalisée via les voies divines. De nos jours encore, les chemins vers Dieu demeurent autant de moyens d’asservissement que de perdition, à la seule différence que nous n’avons plus en face le missionnaire blanc, mais bien le frère africain. Si le phénomène sectaire se développe sur le terreau de la misère sociale, il ne faut pas perdre de vue la diversité de ses ressorts intimes. Le premier ressort est celui de la crise identitaire que traversent les sociétés africaines. Cette crise est née du vide mémoriel qu’ont occasionnés les multiples assauts dont le continent africain a fait l’objet à travers le temps (esclavage, colonisation, néocolonialisation, mondialisation etc.). Ces assauts ont détruit les fondements même de la personnalité collective du Nègre d’Afrique le plongeant ainsi dans le trou noir identitaire. La foi en Dieu s’est imposée comme une forme de béquille culturelle et sociale, devant le déficit de mémoire. Elle est devenue le parapet, sinon la réponse érigée en règle de vie, face aux multiples maux de la vie de tous les jours. La conséquence d’un tel investissement psychique dans la foi c’est bien évidemment l’absence de prise sur la réalité autorisant du même coup la posture du chaos devant les aléas de la vie. Au déficit de mémoire s’ajoutent les désordres chroniques imposés à l’Afrique (Coups d’état, guerres civiles, éliminations physiques, maladies, famines etc.) qui ont ouvert une brèche géante dans laquelle s’engouffrent ces idéologies religieuses régressives. Au détriment de la vraie spiritualité des Noir-e-s.

C. N.

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