lundi, mai 21, 2007

Afrique : la Mâat comme voie de sortie possible de l’emprise néocoloniale


Pour en finir définitivement avec l’éternel débat sur les remèdes



Il semble que la question noire n’ait donné lieu jusqu’à présent qu’à de brillantes dissertations. Au demeurant très instructives sur les maux qui rongent notre « Mama Africa ». Si le diagnostic fait l’unanimité parmi les thérapeutes auto-désignés, s’empoignant par sites web, forums virtuels, articles de presse, conférences, colloques et ouvrages interposés, les remèdes à lui administrer suscitent une kyrielle d’interrogations. A commencer par les premiers soins de secours à apporter au malade gisant à même le sol depuis le viol dont celui-ci a été victime au XVème siècle perpétré par l’Occident au nom de sa prétendue mission civilisatrice. Entre thérapeutes autoproclamés, qu’il soit écrivain, artiste, sportif, historien, géographe, politicien, égyptologue, informaticien, médecin, journaliste, fonctionnaire, étudiant, webmaster, le débat fait rage. Et celui-ci a encore de beaux jours devant lui tant la question des remèdes largement débattue continue de l’alimenter. Chacun défendant mordicus son antidote, sa solution miracle.
Dans le flot des discours afro-thérapeutiques, deux tendances semblent se dégager. De façon caricaturale, évidemment, on distinguera d’un côté les thérapeutes occidentalophiles qui proposent d’entrée de jeu de s’attaquer aux symptômes de la maladie et de l’autre les thérapeutes endogènes qui s’intéressent au malade. Les premiers exonèrent l’Occident de toute responsabilité dans le désastre actuel du Continent tandis que les seconds l’accusent de tous les maux. Les Occidentalophiles pensent que les africains ne sont pas irréductibles à l’universel et considèrent que les solutions qui ont bien marché ailleurs peuvent parfaitement s’appliquer à l’Afrique à condition, bien sûr, d’arrêter de gémir et de se mettre au travail. Les endogènes répliquent que les graines de travail semées par les Africains porteront leurs fruits à condition de se débarrasser des forces nuisibles étrangères qui s’opposent à leur épanouissement. Pour les uns, il faut en finir avec le « thème récurrent du complot »[1], pour les autres il faut arrêter de jouer aux « tontons bamboula naïfs ». Les uns sont soupçonnés de scruter l’Afrique avec les yeux de l’Occident, les autres sont accusés de l’examiner à travers le prisme du passé.
Mais avant arrêtons-nous sur les multiples pathologies que présente notre patiente. De quoi souffre notre « Mama Africa » ? Il semble que notre patiente présente des signes évidents d’un retard économique, industriel, scientifique. Qu’elle a des carences sévères en matière d’éducation, de santé, d’environnement et de démocratie. Qu’elle souffre aussi d’une insuffisance d’Etat liée au parasite de la « tutelle de l’ex-colon » qui génère à la tête des pays des infections paralysantes du type gestion clanique patrimoniale et autocratique du pouvoir avec un risque potentiel d’apparition de rebellions armées alimentaires. Plus connu sous le nom de la « tutelle occidentale », ce parasite, sauf à quelques rares exceptions, selon les spécialistes endogènes, est potentiellement dangereux pour le bien être du Continent. Il est responsable dans la plupart des cas des poussées de fièvre socio-politiques se traduisant par une instabilité chronique. Il existe en fait trois espèces différentes de parasite tutélaire : la françafrique qui est l'espèce la plus largement répandue en Afrique francophone et reste souvent mortelle, le parasite de la tutelle anglo-saxon qui est la deuxième espèce se distingue du précédent par sa discrétion agissant sous le mode indirect dans la zone anglophone du continent (indirect rule) mais aux effets aussi mortels à long terme que son pendant françafricain. La troisième appelée parasite de la tutelle de « l’Oncle Sam », ou parasite du « Cow boy » est à mi-chemin entre les deux précédents et ne connaît aucune frontière. Ce dernier peut se révéler parfois bénéfique lorsqu’il coexiste avec les deux autres sur un même territoire, mais il peut aussi provoquer, l’effet inverse de « Toto tire Nama et Nama tire Toto » et, donc, des conséquences bien plus catastrophiques pour la partie continentale atteinte. Les thérapeutes endogènes établissent dans leur diagnostic une corrélation entre le mal appelé aussi « scandale géologique » du Continent et la présence des parasites tutélaires. Là où les Occidentalophiles pointent du doigt une « idéologie des matières premières [2]» qui alimente selon eux le « défaitisme, la démission et le fatalisme » pour citer encore un des plus farouches représentants sur le web dont les propos résument assez bien le traitement qu’ils souhaitent prescrire à notre malade.
Le discours « du pillage des matières premières » selon les thérapeutes occidentalophiles installe le « malade Afrique » dans la posture de la victime. Or il faut d’après eux « pour retrouver le temps de l’action », « en finir avec les lamentations sans fin ». Pour illustrer leurs propos ils citent de nombreux cas (Chine, Japon, Inde, Corée du sud) déclarés dans les années 50 présentant les mêmes symptômes que l’Afrique ou tout au moins, mais qui ont fini par soigner, de façon spectaculaire, leurs maux en l’espace de quelques années. Aujourd’hui ces cas avec ou sans « capital géologique » affichent une santé économique insolente qui n’a rien à envier à celle de leurs parangons occidentaux. Les occidentalophiles ont raison, coupant l’herbe sous le pied des endogènes, quand ils soulignent que l’exploitation des matières premières n’est possible qu’avec du capital humain. Ce qui n’est pas faux. Mais ils vont un peu vite en besogne quand ils oublient que la formation du capital humain sans conscience, entendre conscience historique de soi, de son propre développement, est ruine de l’âme. Les occidentalophiles crient : il faut de l’éducation, de l’instruction à nos enfants, les endogènes posent la question de quelle éducation, de quelle instruction à nos enfants ? Les occidentalophiles chantent les bienfaits de la croissance économique de l’Occident, louent sans retenue les prouesses technologiques des pays dits industrialisés, les endogènes, eux, s’interrogent, sur le modèle à appliquer au Continent malade. Doit-on suivre aveuglement l’Occident ou doit-on imaginer un modèle propre aux spécificités, à la culture du Continent. Là aussi, l’occidentalophilie béate des uns ne semble pas épouser les desseins des partisans d’un modèle africain spécifique de développement. Les endogènes considèrent qu’il faut attaquer le mal à la racine en proposant de renouer avec l’histoire et la mémoire du Continent. Les occidentalophiles rétorquent : « tout ne s’explique pas toujours par l’Histoire. Et l’Histoire n’explique pas toujours le présent ».
Tout le monde est presque d’accord là-dessus y compris les jusqu’au-boutistes d’un retour aux sources qui plus est du Nil : le passé ne résout toujours pas les énigmes du présent. L’accumulation des connaissances sur le passé des anciens ne saurait représenter l’horizon indépassable de la lutte pour une libération totale et complète de l’homme noir. Mais c’est un préalable incontournable plus que vital. Il s’impose. Tout pays d’Afrique noire qui s’abandonnerait à une imitation aveugle du modèle occidental se heurterait à un cul-de-sac. On ne court pas après le développement, mais le développement s’impose à vous. Il semble, pour l’instant, que la nécessité de celui-ci ne soit encore parvenue à la raison de nombre de dirigeants africains. Rares sont les pays au sud du Sahara qui assurent à leur population le minimum vital comme l’eau, la santé, l’électricité, l’école. Alors une question vient à l’esprit: comment le développement vient à la raison ? C'est-à-dire sur quelle base il peut s’appuyer pour se mettre en place ? Envoyer tous les enfants à l’école est une chose, savoir ce qu’ils vont y apprendre en est une autre. Construire des écoles, des universités est une chose, savoir ce que l’on va y enseigner en est une autre ? Arrêter les guerres fratricides et se mettre au travail (lancent les Occidentalophiles !) est une chose, encore faut-il s’interroger sur les causes réelles de celles-ci répondent les endogènes. Si les Occidentalophiles veulent, devant l’urgence, avec empressement, sauter directement à pieds joints dans le train du progrès économique à l’occidental, les endogènes, eux, refusent de voyager les yeux bandés et sans savoir où l’on va. Ces derniers n’ont pas tort de souligner les faiblesses de l’école postcoloniale qui n’a fait, d’après eux, qu’entretenir et perpétuer l’aliénation des consciences responsable en partie de l’échec actuel ? Aux yeux des endogènes, il faut par l’accès au savoir, permettre le développement d’une conscience historique identitaire nourrie aux humanités classiques négro-africaines sur laquelle repose la confiance en soi où « s’enracine et se développe le génie créateur[3] ». Ce que le japonais de Bolya avait peut être voulu exprimer en parlant de « l’agressivité nécessaire pour survivre dans le monde contemporain ». Mais la prise de conscience historique identitaire n’agit qu’à l’échelle individuelle, au niveau subjectif, elle ne peut automatiquement être transformable en élan collectif. Comment transformer alors le « capital historique » de chacun en actes collectifs concrets ? Sur quelle base la conscience historique s’érige-t-elle en règle de vie ou devient-elle une « énergie collective » de transformation de sa condition humaine ? Force est de reconnaître que depuis la première conférence panafricaine tenue à Londres en 1900, organisée à l’initiative de Henri Sylvester Williams, jusqu’à nos jours, bien de l’eau a coulé sous le pont. L’Afrique n’a pas relevé la tête et les luttes d’hier comme celles d’aujourd’hui sont restées à l’état de parenthèses de l’histoire.
Une chose est sûre c’est que les deux camps veulent en découdre, se jeter à l’eau, soigner vite les maux pour sortir « Mama Africa » de ce coma politique, économique, culturel et scientifique. Mais comment ? Pour l’instant notre patiente gravement atteinte de la tête aux pieds est sous perfusion. Elle assiste impuissante aux échauffements discursifs des uns et des autres. Non traité, son mal chronique risque de prolonger le coma dans lequel elle se trouve pour plusieurs années, voire des décennies. Pourtant, entre les deux voies occidentalophiles et endogènes, une troisième voie de traitement semble se dessiner. On l’appellera la voie de traitement méta-endogène. Ses défenseurs proposent rien moins que de renouer avec le principe divin négro-égyptien d’harmonie universelle de la Maât, c'est-à-dire avec une certaine éthique de vie basée sur la vérité, la justice l’harmonie et l’équilibre avec les autres. Une hygiène de vie qui doit épouser la culture du sacrifice des anciens basée sur la solidarité et l’harmonie avec les autres tout en abandonnant son contraire c'est-à-dire « Désordre, Ignorance, Fiction, Fausseté, Erreur, Injustice, Mensonges, Calomnies, Destruction, Pollution, Imprévoyance, Exploitation, Oppression, Irresponsabilité »(Bilolo[4]). Le Professeur Mubabingue Bilolo, égyptologue et linguiste, propose aux Noirs du monde entier rien moins que d’aller puiser « aux sources de la Kamité, les énergies spirituelles nécessaires pour casser les chaînes invisibles qui paralysent la liberté de mouvement de notre être véritable ». Mais comment les afrodesecendants en renouant avec la Maât peuvent-ils lutter et survivre dans un monde qui a érigé les « injustices », « les mensonges », en principe de fonctionnement ? Peut-on réclamer à cor et à cri la croissance pour l’Afrique et se refugier dans une éthique de vie contraire à « l’agressivité nécessaire» dont il faut faire preuve pour survivre dans un environnement mondial cynique et impitoyable qui ne fait pas de cadeau à ceux qui tendent la joue gauche ? Certains endogènes jugent risquée cette approche thérapeutique et proposent de remettre en cause le principe de la Maât en le réadaptant si possible aux exigences de compétitivité de l’environnement mondial actuel. Ce qui est sûre c’est que la redécouverte des humanités classiques négroafricaines qui s’impose ne saurait être non plus une finalité en soi dans le processus de renaissance panafricaine. Le programme qui doit s’imposer à l’homme noir, c’est celui de la renaissance spirituelle. Plus qu’un devoir, une nécessité. Renaître de nouveau pour l’homme noir, c’est renouer avec Maât, réapprendre à vivre en harmonie avec soi-même, avec les autres dans le respect des rythmes de la nature, donc de toute la chaîne du vivant. Ce principe a assuré paix, calme, cohésion sociale et prospérité à l’Egypte ancienne négro-africaine, l’Afrique peut y puiser l’élan de son développement, de sa guérison définitive. A contre courant, donc, du modèle économique ultralibéral actuel productiviste et destructeur.
C. N.
Références :
1) Bolya, Il faut en finir avec les sanglots de l’Homme noir, Afrik.com septembre 2005
2) Idem.
3) Doumbi-Fakoly, Afrique La Renaissance, Silex / Nouvelles du Sud, 2000.
4) Mubabinge Bilolo, Faisons rayonner la gloire de Maât, Africamaat.com octobre 2005.

[1] Bolya, Il faut en finir avec les sanglots de l’Homme noir, Afrik.com septembre 2005
[2] Idem.
[3] Doumby-Fakoly, Afrique La Renaissance, Silex/Nouvelles du sud, 2000.
[4] Bilolo Mubabingue, Faisons rayonner la gloire de Maât, Africamaat.com, octobre 2005.

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