Alors que les images télévisuelles crues de la fin du guide libyen Mouammar El Kadhafi continuent de hanter nos écrans, il apparaît opportun de s’interroger sur ce qui semble être devenue un nouveau mode opératoire de l’Occident pour célébrer la chute des régimes honnis à savoir les exhibitions médiatiques de ceux qui les ont incarnés. Cette mise en scène volontaire ou involontaire du supplice du tyran, - parce qu’il peut s’agir d’images volées ou capturées sur le vif sans aucun contrôle-, bien qu’assez emblématique de la violence de la « bête », traduit l’emprise d’un pouvoir et d’une domination de celle-ci désormais sans limites sur le monde. En décembre 2006, la pendaison spectaculaire de l’ancien dirigeant irakien Saddam Hussein, semblait avoir signé l’acte de renaissance de ces procédés barbares de lynchage très prisés dans le monde occidental dans un passé encore récent. Pourtant, au lendemain des décolonisations, les meurtres et les assassinats des dirigeants du Sud, à l’instigation de pays occidentaux étaient perpétrés dans le secret le plus total et leur divulgation semblait marquer du sceau de la retenue. Aujourd’hui, cette époque est révolue. Et, nous redécouvrons la « férocité blanche » à visage nu, sans gêne, immorale et honteuse. En Afrique, c’est de justesse que l’ancien président ivoirien Laurent Gbagbo y a sans doute échappé, avant d’être livré à ses adversaires vêtu seulement d’un simple maillot de corps. Tout un symbole. Après plusieurs décennies d’exactions et d’assassinats « feutrés » à travers le monde, l’Occident renoue au XXI siècle avec des méthodes d’un autre âge. Désormais, le « corps du dictateur déchu » est un « butin de guerre » qu’il faut livrer au voyeurisme des médias collectifs et individuels « complices » chargés de l’exhiber au monde entier. L’acte n’est pas anodin. La crucifixion médiatique du tyran symbolisant la chute « vraie » du régime.
Les exactions postcoloniales sur fond de mauvaise conscience
L’Occident est entré de plein pied dans ce nouveau siècle encore une fois avec des sabots imbibés du sang des autres. Chaos et désolation sont les petits cadeaux que les peuples non occidentaux reçoivent de lui en retour en échange du don de la civilisation et de soi-disant l’aide à la démocratie. Par le passé, l’on eut droit à des meurtres au petit matin des leaders par trop révolutionnaires, à des martyrs sans sépulture. Corps introuvables, brûlés, calcinés, profanés ensuite enterrés dans de fausses communes où encore jetés à la mer. En ces temps révolus, la violence coloniale appréciait particulièrement le silence de ses victimes. Des morts sans voix. Des cadavres sans bruit. Les années 60 qui ont suivi les pseudo-décolonisations ont été propices à cette culture de l’omerta. Il faut dire qu’à l’époque la toute puissante télévision n’avait pas encore le don d’ubiquité qu’elle dispose aujourd’hui et le monde ne baignait pas dans cet océan de gadgets technologiques susceptibles de rétrécir l’espace-temps du crime.
Des conquêtes coloniales aux guerres néocoloniales de prédation, innombrables ont été les exactions commises par l’Occident dans les pays ex-colonisés. D’une rare cruauté, ces forfaits étaient souvent exécutés dans le silence avec disparition du corps des martyrs. C’était une autre époque. La culpabilité postcoloniale dictait une politique d’assassinat basée sur le secret, l’omerta. Il fallait pratiquer le flou et semer la confusion pour ne pas réveiller les nombreux cadavres enfouis dans les placards poussiéreux de la période coloniale. Dans cette folie meurtrière, l’Afrique a payé un lourd tribut. Nombreux sont les dignes fils de la terre-mère qui ont été emportés par les vagues immondes de cette férocité blanche, sans nom. Lumumba, Sankara, Um Nyobé, Kabila, pour ne citer que ceux là, en ont courageusement fait les frais. Barbouzes et valets locaux étaient chargés d’exécuter les basses œuvres avec le concours exceptionnel en dernier lieu de leurs commanditaires. Il fallait brouiller les pistes, laisser croire à une histoire de règlements de compte entre sauvages afin de perpétuer la fable d’un monde subalterne voué à la barbarie. C’est dans ce contexte que les décolonisations, surtout en Afrique, ont accouché des luttes politiques locales à forte connotation tribale. Pendant que les peuples incultes regardaient le doigt qui montre la lune, les maitres du monde fomentaient les scénarios de coups d’Etat avec des acteurs locaux transformés en pantins.
Le « corps du dictateur déchu » : un « butin de guerre »
Nous sommes le jeudi 20 octobre, les images de la capture de Mouammar El Kadhafi tournent en boucle sur toutes les chaînes de télévision du monde. Des images crues particulièrement effroyables d’un homme affaibli pris dans une embuscade et tentant, sans grande résistance, de se défaire de ses assaillants surexcités criant « Allah Akbar ». Il est ensuite vu transporté en position couchée dans un pick up, le corps et le visage couvert de sang. Son corps et celui de son fils Moutassim également tué pendant cette capture seront transportés à Misrata pour être exposés dans une Mosquée. Cette exposition avait valeur de symbole comme les vidéos qui ont précédé la mort du guide libyen. En d’autres temps, ces corps auraient eu un autre traitement. Mais il fallait exhiber la « chaire ensanglantée du dictateur » ; la livrer au voyeurisme planétaire comme pour la vider de sa charge symbolique de « martyr ». Voilà comment le corps de celui qui s’était autoproclamé « Roi des Rois d’Afrique » a été érigé en vulgaire butin de guerre à l’image des ces nombreux anonymes tombés lors des guerres tribalo-civiles en Afrique. A la seule différence que ces derniers pouvaient encore prétendre au respect qu’il sied d’accorder aux morts.
Les exhibitions médiatiques des tyrans : un nouveau terrorisme symbolique
L’Occident est entré de plein pied dans ce nouveau siècle encore une fois avec des sabots imbibés du sang des autres. Chaos et désolation sont les petits cadeaux que les peuples non occidentaux reçoivent de lui en retour en échange du don de la civilisation et de soi-disant l’aide à la démocratie. Par le passé, l’on eut droit à des meurtres au petit matin des leaders par trop révolutionnaires, à des martyrs sans sépulture. Corps introuvables, brûlés, calcinés, profanés ensuite enterrés dans de fausses communes où encore jetés à la mer. En ces temps révolus, la violence coloniale appréciait particulièrement le silence de ses victimes. Des morts sans voix. Des cadavres sans bruit. Les années 60 qui ont suivi les pseudo-décolonisations ont été propices à cette culture de l’omerta. Il faut dire qu’à l’époque la toute puissante télévision n’avait pas encore le don d’ubiquité qu’elle dispose aujourd’hui et le monde ne baignait pas dans cet océan de gadgets technologiques susceptibles de rétrécir l’espace-temps du crime.
Des conquêtes coloniales aux guerres néocoloniales de prédation, innombrables ont été les exactions commises par l’Occident dans les pays ex-colonisés. D’une rare cruauté, ces forfaits étaient souvent exécutés dans le silence avec disparition du corps des martyrs. C’était une autre époque. La culpabilité postcoloniale dictait une politique d’assassinat basée sur le secret, l’omerta. Il fallait pratiquer le flou et semer la confusion pour ne pas réveiller les nombreux cadavres enfouis dans les placards poussiéreux de la période coloniale. Dans cette folie meurtrière, l’Afrique a payé un lourd tribut. Nombreux sont les dignes fils de la terre-mère qui ont été emportés par les vagues immondes de cette férocité blanche, sans nom. Lumumba, Sankara, Um Nyobé, Kabila, pour ne citer que ceux là, en ont courageusement fait les frais. Barbouzes et valets locaux étaient chargés d’exécuter les basses œuvres avec le concours exceptionnel en dernier lieu de leurs commanditaires. Il fallait brouiller les pistes, laisser croire à une histoire de règlements de compte entre sauvages afin de perpétuer la fable d’un monde subalterne voué à la barbarie. C’est dans ce contexte que les décolonisations, surtout en Afrique, ont accouché des luttes politiques locales à forte connotation tribale. Pendant que les peuples incultes regardaient le doigt qui montre la lune, les maitres du monde fomentaient les scénarios de coups d’Etat avec des acteurs locaux transformés en pantins.
Le « corps du dictateur déchu » : un « butin de guerre »
Nous sommes le jeudi 20 octobre, les images de la capture de Mouammar El Kadhafi tournent en boucle sur toutes les chaînes de télévision du monde. Des images crues particulièrement effroyables d’un homme affaibli pris dans une embuscade et tentant, sans grande résistance, de se défaire de ses assaillants surexcités criant « Allah Akbar ». Il est ensuite vu transporté en position couchée dans un pick up, le corps et le visage couvert de sang. Son corps et celui de son fils Moutassim également tué pendant cette capture seront transportés à Misrata pour être exposés dans une Mosquée. Cette exposition avait valeur de symbole comme les vidéos qui ont précédé la mort du guide libyen. En d’autres temps, ces corps auraient eu un autre traitement. Mais il fallait exhiber la « chaire ensanglantée du dictateur » ; la livrer au voyeurisme planétaire comme pour la vider de sa charge symbolique de « martyr ». Voilà comment le corps de celui qui s’était autoproclamé « Roi des Rois d’Afrique » a été érigé en vulgaire butin de guerre à l’image des ces nombreux anonymes tombés lors des guerres tribalo-civiles en Afrique. A la seule différence que ces derniers pouvaient encore prétendre au respect qu’il sied d’accorder aux morts.
Les exhibitions médiatiques des tyrans : un nouveau terrorisme symbolique
Ce mode opératoire de célébration des régimes déchus avait déjà été expérimenté au moment de la capture de Saddam Hussein. Avec une scénographie presque similaire mais moins violente, l’ex-dirigeant irakien fut comme le guide libyen pris dans un « trou à souris » par les forces américaines en décembre 2003. La vidéo de l’époque montre un homme qui « se tient la barbe, le regard perdu dans le vide ». « Un homme aux mains gantées lui examine les dents ainsi que les cheveux ». Dans le même registre, le 11 avril 2011, c’est à un lynchage de justesse qu’échappent Laurent Koudou Gbagbo et son épouse Simone. Mais certains de ces compagnons de route auront un sort plus tragique. Les vidéos diffusées au moment de sa capture montrent un Gbagbo, en maillot de corps, tout en sueur, l’air hagard, le regard perdu et malmené là encore par des soldats surexcités. Au-delà de leur caractère violent et indécent, « ces images posent », en paraphrasant Achille Mbémbé, « la question de savoir ce que c’est que vivre sous le régime de la bête, de quelle vie il s’agit et de quel type de mort on meurt ».
Dans l’instant qui suit la capture, le dirigeant honni transformé en trophée de guerre devient cette « chose », cet animal, cet « homme-déchet » dont le « sacrifice médiatisé » remplace toute autre forme de procès, de jugement. Outre qu’il permet d’enterrer le prestige de celui qui pourrait endosser aux yeux des sympathisants le rôle de martyr, cet acte sacrificiel est avant tout une « fatwa occidentale » destiné à punir le « mécréant » de ses crimes. Mais de quels crimes il s’agit. Celui d’avoir tenu tête à la bête. Il ne s’agit nullement d’une « vengeance des victimes ». Puisqu’il y a ni procès ni jugement. C’est une vengeance des puissants, une vengeance des vainqueurs qui leur permet d’exhiber leur pouvoir et leur domination sans limite. Sur fond de violation flagrante des lois et traités internationaux. Ces exhibitions dissimulent mal, tout compte fait, un terrorisme symbolique. En ce sens où elles visent à intimider, à impressionner, à frapper les esprits.
Humiliation, chosification et déshumanisation
Humiliation, chosification et déshumanisation composent le complexe de monstration de la fin de celui que les pays occidentaux qualifient de « dictateur ». Il ne s’agit pas seulement d’atteindre le corps physique du « tyran ». Ce qui est visé ici dans ces expositions médiatiques ostentatoires, c’est l’homme lui-même. La chute du régime ne suffit plus. Il faut aussi enterrer celui qui l’incarne. Il ne s’agit ni plus ni moins que de terrorisme symbolique. L’opération de capture est un processus symbolique d’élimination du « symbole » qu’incarne celui-ci. Il s’agit de tuer l’ « aura » entourant ces personnages ayant engagé un bras de fer avec l’Occident. C’est à ce moment précis que les appareils médiatiques de propagande jouent leur dernière carte en jetant en pâture la dernière image publique de l’homme. L’image médiatique en l’occurrence télévisuelle quasi absente pendant la période précédente des « liquidations secrètes » joue ici une partition symbolique d’achèvement du modèle tel un chant du cygne. Un modèle qui devient par ricochet un contre-modèle puisque dépouillé, désincarné, vidé de sa charge symbolique. Il est transformé en épouvantail brandi aux restes de l’humanité comme pour leur signifier de quoi est encore capable « la bête immonde », l’Occident, après deux siècles de colonisation.
Des exhibitions qui signent l’acte de fin de la culpabilité postcoloniale et ouvrent l’ère des recolonisations
Le pouvoir sans limite des pays occidentaux qui leur autorise à sacrifier la vie des ex-colonisés va de pair avec le sentiment que la culpabilité postcoloniale est désormais derrière eux. Dans nombre de ces pays, notamment en France, il se répand l’idée, via les appareils médiatiques de propagande, que la question de la culpabilité européenne a été liquidée via les guerres fratricides postcoloniales, permettant d’exonérer l’Occident de toute forme de responsabilité dans la faillite institutionnelle et politique des anciennes colonies. C’est au nom de ce sentiment qu’il se sent aujourd’hui investi d’une nouvelle mission de recolonisation des pays qui ne veulent pas se soumettre aux diktats du Nouvel ordre mondial. Aidés par l’absence de contre-pouvoir et l’instrumentalisation des institutions internationales, les pays occidentaux imaginent désormais que leur règne est sans fin. Avec la disparition du bloc de l’Est, la faillite du projet politique visant l’unité du monde arabo-musulman sur fond de conversion de ses élites à l’arabo-mondialisme, les hésitations géopolitiques de la Chine à assumer son rôle de nouvelle puissance, l’Occident est désormais seule au monde. Marche ou crève, telle est sa devise. Convaincu de sa mission civilisatrice sur fond d’impunité. Mais pour combien de temps encore ?
Césaire Nganga
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