Scènes de vie courante : dans le Limousin la cueillette de pommes tourne à la rafle de Négrillons
Concèze. Un bourg situé dans le département de la Corrèze coincé entre la Dordogne et le Limousin à une demi-heure de route de Brive la gaillarde. Ce petit village fleuri de quelques 400 habitants, connu pour sa production de pommes, a été le théâtre, le vendredi 21 septembre 2007, d’un événement un peu étrange. Une dizaine de policiers en uniforme ont pris d’assaut l’île des vergers pour cueillir non pas le célèbre fruit biblique défendu mais le travailleur clandestin. Une espèce qui paraît-il y pousse en cette période de cueillette. Du jamais vu de mémoire de Concézards habitués au bruit des tracteurs et au meuglement des vaches qui peuplent les près verdoyants de ce havre de pommiers perdu au fin fond du limousin.
« Nous sommes sous l’ère Sarko, Mamadou tes papiers ! »
Le spectacle débuta vers 7h30 de cette journée du 21 septembre pas franchement aux pommes avec l’immobilisation de l’autocar des cueilleurs venu de Brive à hauteur de Objat, une commune située à quelques encablures du fief limousin du rugby. Le spectacle aux allures de rafle avait de quoi surprendre plus d’un cueilleur encore endormis au crépuscule du jour, malgré le son bourdonnant de la radio. Interrogatoire et traditionnel contrôle d’identité s’ensuivent. Le malaise est perceptible chez la plupart des forçats des champs, quelques timides chuchotements fusent en guise de protestation. Des échanges s’improvisent entre cueilleurs. Mais rien de plus. « Nous sommes sous l’ère Sarko, Mamadou tes papiers ! », ironise un cueilleur. « Moi je suis blanc, je suis français » fait valoir un jeune passager à l’endroit de son collègue qui le taquine sur ses origines. Détail éminemment important. On avait presque failli l’oublier surtout par les temps qui courent où il vaut mieux descendre du Cro-Magnon que du Grimaldien bien que le premier soit issu du second. Quelques passagers sont en règle, d’autres pas, et c’est une liste de noms qui servira de trace aux officiers de l’ordre pour confondre les indésirables venus manger le pain des français. On crut le temps d’une journée de travail l’incident clos. Mais c’était sans compter avec le zèle presque ridicule des forces de l’ordre venues avec la ferme intention de nettoyer les champs de pommes au karcher. Au grand dam des cultivateurs qui durent faire le pied de grue jusqu’en milieu de matinée. La navette affrétée par le Conseil général de la Corrèze pour le transport des cueilleurs ne terminera sa tournée des champs que vers 9 h, soit une heure de retard par rapport à l’horaire d’embauche habituel.
En situation régulière, mais embarqué sous forte escorte policière
A 15 heures tapantes, le bruit feuilletant de la cueillette de la pomme laisse étrangement place à celui intimidant des bottes. Annonçant la couleur des échanges « feutrés » mais glaciaux entre certains cueilleurs « noirs » et agents de l’ordre. Pickings et pallox laissent place le temps d’un interrogatoire aux policiers qui leur volent outrageusement la vedette. Un silence de cimetière s’abat sur Concèze. Le malaise s’installe, on sent à travers le creux des orbites de l’énervement, de l’agacement. Les exploitants agricoles sont déroutés, certains ne comprennent rien à cette visite inopinée qu’ils assimilent à une forme de malédiction. Ils craignent leur réputation. Combien avez-vous de travailleurs ? S’empresse de demander un gendarme zélé et manifestement content d’exécuter son numéro de shérif yankee à un cultivateur. Le regard se voulant en plus promeneur vers les bois alentour. A la recherche d’un potentiel « gibier noir » non autorisé dissimulé dans la brousse limousine. Monsieur N.G*. répond six. La vérification est aussitôt faite sur les déclarations transmises auprès de la MSA (Mutualité sociale Agricole). Deux cueilleurs sont d’entrée de jeu suspectés et comme par hasard, il s’agit des Noirs. De quoi tomber dans les pommes. Encore des Noirs. Des mamadous pommés au milieu des champs, seuls et impuissants face à l’adversité, à l’injustice, travailleurs immigrés abonnés aux humiliations et vexations, affublés de toutes sortes de noms d’oiseaux qu’il serait ici inutile de rappeler. L’un d’entre eux en fera les frais. F.B., marié et père de famille en situation REGULIERE. « Vous arrêtez tout maintenant » ! « Vous arrêtez de téléphoner ! » « Vous avez votre titre de séjour ! » « Où sont vos affaires ? » « Vous savez que vous n’avez pas le droit de travailler ! » tonne l’agent de l’ordre en direction de F.B*. L’intéressé avait pourtant déjà signalé dès le premier contrôle de l’aube qu’il n’avait aucun papier sur lui. Sa nouvelle carte vitale avec photo et les photocopies de son livret de famille ne lui donneront malheureusement pas quitus. Il sera embarqué sous forte escorte policière sans la moindre explication, délogé de son lieu de travail, humilié devant les collègues. Inutile de rappeler que de nombreux collègues blancs n’avaient pas leurs papiers sur eux. F.B. quittera la gendarmerie deux heures plus tard, après une énième re-vérification de son identité et après avoir été traîné dans la boue de Concèze tel un malfrat. Dans son for intérieur blessé résonne encore ce refrain que tout afrodescendant connaît désormais par cœur : « pourquoi moi Mamadou je dois me justifier au pays du colonisateur qui n’a pas encore quitté le mien qu’il continue de piller en toute liberté». Les « mâchures » de pommes devenant à jamais des véritables blessures de peau.
C. N.
* Les personnes citées souhaitent garder l’anonymat.
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