dimanche, octobre 14, 2007

Les tests ADN ou le triomphe d’une conception raciologique et ethnique de la Nation


Sous le pretexte fallacieux de lutter contre les fraudes, l'amendement Mariani sur les tests ADN, encadrant désormais l'entrée des candidats au regroupement familial, symbolise la première dérive raciste et xenophobe d'une conception de la Nation qui se veut non plus républicaine mais ethnique.


"Il y a plus de problème pour un enfant d'un immigré d'Afrique noire ou d'Afrique du Nord que pour un fils de Suédois, de Danois ou de Hongrois. Parce que la culture, parce que la polygamie, parce que les origines sociales font qu'il a plus de difficultés". Ces propos, tenus dans l’émission politique « A vous de juger » en novembre 2005 par l’ancien candidat à l’élection présidentielle, Nicolas SARKOZY, devenu entre temps président, annonçaient déjà la couleur. De ce qui allait s’imposer comme une véritable dérive de la conception française de la Nation. Premier jet de celle-ci : l’amendement Mariani sur les tests ADN. Qui ne sont qu’un pallier parmi d’autres mesures à venir sur le dispositif de lutte contre l’immigration d’origine extra-européenne en général et sud-saharienne en particulier. Destiné aux ressortissants de l’Afrique noire, ceux qui ne sont pas assez entrés dans l’histoire (discours de Dakar, tout le monde s’en souvient), ce dispositif de lutte contre l’immigration subie est d’abord un clin d’œil politique à l’opinion publique nationale manipulée par les médias officiels qui distillent les thèses nauséabondes d’une certaine « haine imaginaire » qu’entretiendraient les citoyens de couleur à l’endroit de la France (Souvenez-vous des ratonnades anti-blancs). Il s’agit donc pour la droite majoritaire de poser un acte politique fort au sujet de la question immigrée devenue l’aune à laquelle se mesure et se juge aujourd’hui en France « le sérieux » d’un gouvernement en matière de gestion de la Cité. En filigrane, on l’aura compris, si la France va mal c’est d’abord à cause des immigrés d’Afrique noire « estampillés gros consommateurs d’allocs dans l’imaginaire du français de base », à qui l’on fait endosser la responsabilité du trou de la sécu, des déficits publics, du chômage de Madame Michu, bref de la crise qui touche les ménages français.
La banalisation de cette vision politique de l’immigré africain a fini par ouvrir la brèche à des idéologies régressives comme la conception ethnique de l’identité française dont le FN n’a plus le monopole. Au-delà de celle-ci, ce sont même les fondements de l’Etat-nation français qui sont entrain d’être démantelés avec en toile de fond la marginalisation, la criminalisation, voire la diabolisation des couches de population d’origine extra-européenne. L’enjeu est de taille. Pourtant, « la nation historique moderne française - symboliquement née avec la révolution française et qui a connu son épanouissement en Europe occidentale jusqu’à la première guerre mondiale - a été une forme politique qui a transcendé les différences entre les populations qu’il s’agisse des différences objectives d’origine sociale, religieuse, régionale ou nationale (dans les pays d’immigration) ou des différences d’identité collective, et les a intégrées en une unité organisée autour d’un projet politique commun »[1]. Aujourd’hui tout cela n’est plus que vieille histoire et qu’il faut stopper à tout prix le polygame africain, érigé à tort en symbole absolu de la désintégration culturelle et politique de la France. Les thuriféraires de l’instrumentalisation politique de la question immigré ont vite fait de trouver en lui le coupable idéal du « mal français », ignorant pour certains qu’ils sont eux-mêmes des citoyens dont les parents étaient étrangers. Mais que signifie donc cette réorientation conceptuelle de la Nation française éloignée de l’expérience sociale ?
En effet, l’élargissement de l’espace social national, - dans les démocraties occidentales, conséquence directe de la stabilisation du phénomène des flux migratoires, de l’accélération du processus européen d’intégration communautaire concrétisé, entre autre par le projet de l’élaboration d’une politique commune européenne de l’immigration prévue par le traité de d’Amsterdam ainsi que les effets de la mondialisation, - a posé avec force la question de la présence et de la place des minorités ethniques en Europe. Leur sédentarisation et leur installation progressive depuis l’arrêt officiel de l’immigration de travail en 1974, ont débouché sur les questions autour de leur citoyenneté et de leur participation à la vie politique. Par ailleurs, ces minorités sont accusées à tort de entrer en concurrence avec les nationaux de souche européenne dans divers domaines dont celui de la reconnaissance symbolique par l’Etat qu’elles veulent, en plus, semble-t-il, condamner à la repentance. L’irruption presque brutale dans le débat public du passé colonial de l’Etat français était un signe avant-coureur qui a mis en lumière le projet en sourdine d’une redéfinition des frontières symboliques entre nationaux de souche et nationaux extra-européens. Le but étant de créer une sorte d’ennemi intérieur qui serait en l’occurrence l’étranger non européen bouc émissaire choisi pour endosser la responsabilité des maux dont souffre la France.
Ce discours d’une France en état de siège plombant sous la fracture ethnique, est vulgarisé par une certaine élite politique et intellectuelle très médiatisée. Il vise à accréditer l’idée que si la France n’avance pas, c’est parce que de hordes sauvages sorties de la brousse lointaine africaine sont venues la coloniser, et que celles-ci annoncent dans un futur proche le péril français sous l’effet du communautarisme grandissant. Impensable aux pays des droits de l’homme, la citoyenneté de couleur ne saurait être compatible avec la vision d’une nouvelle France qui ne peut se reconstruire que sur la base d’une opposition « Eux » et « Nous ». D’où la création d’un ministère associant ignoblement les notions de l’immigration et de l’identité nationale. D’où l’exhumation récente, aussi, des fantasmes antédiluviens largement médiatisés sur l’(in)humanité nègre qui vont de la bite aux odeurs en passant par leurs coutumes et leur mentalité prélogique.
Alors que les fantômes de la barbarie nazie continuent de hanter les vieilles nations européennes, il est surprenant de voir, en France, l’exhumation, à travers les tests ADN, des procédés ignobles de tri sélectif ethnique qui ciblent et stigmatisent une catégorie de la population. Est-il besoin de rappeler que c’est le recensement de la population selon une classification ethnique et raciale qui avait permis les manipulations politico administratives sous le régime de Vichy. La classe politique française semble décidément avoir la mémoire courte, en fournissant une interprétation ethnique comme réponse face au défi multiculturel. Si jusqu’à Si jusqu’à hier, la conception française de l’intégration avait toujours cohabité avec une vision pluriethnique du corps social, force est de reconnaître que l’instrumentation politique de la question immigrée, a précipité celle-ci vers une impasse. Celle de la crispation de « l’identité française » désormais repensée sur les bases tendancieuses de la génétique.

C. N.



[1] Dominique Schapper, cité par Mohand Khellil, sociologie de l’intégration, PUF,1997.

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