samedi, juillet 18, 2015

Quand les commentaires capillaires frisent le racisme

Derrière les remarques faites récemment par la presse people sur les chevelures de plusieurs stars noires se cache une question identitaire profonde: celle des pressions infligées aux noirs, spécialement les femmes, pour adopter une coiffure plutôt qu'une autre.
 
Avec l'engouement de certains médias pour les cheveux frisés et crépus, j’avais naïvement cru révolu le temps des commentaires racistes sur le sujet, laissant penser que les cheveux des noirs n’étaient pas des cheveux aussi dignes que les autres. Ces dernières semaines, la presse people s’est évertuée à me prouver que j’avais tort.
Le 10 avril, Voici a ainsi publié un numéro dans lequel Omar Sy, coiffé d’un afro, «frisait le ridicule». Avec tout le ton prétendument «impertinent» qu’on lui connaît, le magazine qualifie tantôt la coiffure de la star d'Intouchables de «terrifiante», tantôt «de coupe à la grimace qui devrait faire rire les nenfants» (à défaut de «terrifier» les petites têtes blondes, j’imagine). A la télé, la rédaction a même hérité du «Prix du racisme», décerné par Audrey Pulvar et Roselyne Bachelot dans l’émission Le Grand 8.
Mais Voici n’est malheureusement pas le seul magazine à s’être illustré par de tels propos. Une semaine plus tôt, Public comparait l’afro de Solange Knowles, auquel la soeur de Beyoncé nous a pourtant habitués, à un dessous de bras. Quant à North West, fille métisse de Kanye West et de Kim Kardashian, le blog PerleAntilles rapportait que Public, toujours, l’avait qualifiée d’héritière malheureuse des gènes capillaires de son père.
Ces propos ont provoqué un véritable tollé sur les réseaux sociaux. Sur Twitter, le hashtag #Twitpicyourafro a été lancé par une internaute afro-américaine, Ebony Jones, en réponse au mépris des rédactions de Public et Voici.
 

Honnêtement, j’ignore ce qui est le pire: l’indifférence feinte de Public vis-à-vis des attaques des internautes légitimement choqués ou la réponse condescendante que Voici a adressé à ces derniers.
 
«Le racisme prend souvent l’apparence d’une simple blague lancée par des gens qui ont de "bonnes intentions" mais qui font pourtant preuve d’un manque de jugement, réagit Ebony Jones. Le problème n’est pas de savoir si le racisme était intentionnel ou pas, le problème, c’est d’écrire des choses aussi inappropriées dans un pays qui doit déjà faire face à des problématiques d’ordre racial et identitaire. C’était plus qu’irresponsable: ça s’adressait à la majorité en avilissant et en dévalorisant une minorité pour ce qu’elle est. C’est tout l’intérêt du hashtag Twitter #Twitpicyourafro: montrer que nous avons le droit d’être tels que nous sommes, sans critiques.»

Les femmes, premières victimes du racisme capillaire

Même si les hommes souffrent aussi de discriminations capillaires, ce sont généralement les femmes qui en sont victimes, ciblées par la pression patriarcale qui voudrait qu’une femme fasse tout ce qui est en son possible pour être séduisante. Or, en France, être séduisante, c’est être aussi imberbe qu’une petite fille, être mince, mais c’est aussi avoir les cheveux lisses. Tout juste intronisée à la tête des Inrockuptibles en 2012, Audrey Pulvar avait ainsi fait les frais de l’ignorance d’internautes amusés, parfois choqués, de la voir sans son brushing.
Avec ces discours humiliants, tout est fait pour que les femmes refusent catégoriquement de porter leurs cheveux au naturel, ayant déjà profondément intériorisé qu’ils étaient «horribles», «pas féminins», «indignes d’une vie professionnelle» et «peu séduisants».
Beaucoup d’entre elles se donnent ainsi du mal pour correspondre à l’idée que la société environnante se fait d’une belle femme. Renée Greusard, journaliste pour Rue89, a raconté en quoi consiste l’épreuve du défrisage chimique en ces termes:
«Il faut un certain temps de pose pour que le cheveu soit bien lisse, mais plus on attend, plus c’est désagréable. D’abord ça picote et puis, si on attend vraiment trop, ça brûle carrément. On peut assez facilement se retrouver avec des plaques rouges sur le crâne.»
En 2009 déjà, le comédien et réalisateur Chris Rock dénonçait dans son docu-comédie Good Hair l’influence des standards de beauté blancs et leurs conséquences sur les femmes noires.


«Le cheveu, porteur de culture et d’identité»

La question de la chevelure n’est en effet pas anecdotique. Pour Bilguissa Diallo, fondatrice de la marque Nappy Queen, «le cheveu a un statut particulier, étant porteur de culture et d’identité, et est par conséquent un sujet épineux».
Par choix esthétique, pratique ou par affirmation de leurs différences et de leur singularité, de nombreuses femmes aux ascendances africaines se sont ralliées à la cause des «nappys» en arrêtant de recourir au lissage chimique de leur chevelure.
Le mot «nappy», issu de l’argot afro-américain, était à l’origine péjoratif et servait à tourner en ridicule les cheveux crépus. Le terme est désormais devenu une contraction des mots «natural» et «happy» et se popularise depuis 2007 en France, selon Samantha JB, présidente de l’association Nappy Party.
Evoquant ce mouvement capillaire, Axelle Kaulanjan, blogueuse pour RFI, parlait en 2012 d'«une sorte de catharsis pour beautés noires longtemps niées, mises au ban de l’esthétique occidentale, et qui exprimeraient, enfin, à la face du monde le bonheur de garder leurs cheveux tels quels, sans chercher à obtenir le "white-girl-flow" longtemps érigé comme canon capillaire par les magazines féminins et certains discours assimilationnistes».
Les Nappys s’attribuent des icônes qui font la une des magazines outre-Atlantique, de Solange Knowles à Lupita N’yongo, oscarisée pour son rôle dans Twelve Years a Slave.

La France a, quant à elle, un certain retard à rattraper, que les propos de Voici et Public illustrent à la perfection.

Quoiqu’elle fasse, la femme noire subit ses différences

La relative démocratisation du «naturel» a changé la vie de nombreuses femmes noires et s’apprête à changer celle de beaucoup d’autres, peu importe ce qu’en diront Voici et Public. Elles ne sont plus systématiquement condamnées au quasi «sacro-saint» défrisage que leur imposait une pression sociale à peine dissimulée. Pour autant, le choix de faire ce qu’elles veulent de leur apparence physique leur appartient-il?
Depuis l’émergence du mouvement naturel, certaines personnes ont adopté un discours pénalisant à l’égard des femmes défrisées. Ceux et celles que l’on appelle «nappex» (contraction des mots «nappys» et «extrémistes») dénoncent, entre autres, «l’aliénation» dont les «défrisées» et les «tissées» seraient victimes.
Ainsi, dans le film Dear White People, qui met principalement en scène de jeunes noirs militants, tous portent leurs cheveux au naturel sauf une, qui porte un tissage et qui est, comme par hasard, mal dans sa couleur de peau.
Certains font exister une distinction entre «bonnes» et «mauvaises» féministes, d’autres préfèrent celle entre «bonnes» et «mauvaises» noires: la femme noire, quoiqu’elle décide ou quoiqu’elle fasse de son propre physique, reste malheureusement coupable de ses choix.
 
 
Source : Slate.fr
 

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