jeudi, août 30, 2007

Les Noirs de France dans l’œil du cyclone : identité, mémoire et citoyenneté


Oiseau de mauvais augure s’il en est, l’élection de Monsieur Nicolas SARKOZY à la présidence de la République française a assombri un peu plus l’horizon politique, sociale et économique de ceux que l’on qualifie désormais de minorités visibles. Non pas que la victoire de Madame Royale aurait changé quelque chose à la situation des Noirs, mais l’alternative républicaine, qu’elle a pu symboliser, dans l’entre deux tours, aux yeux de millions de français, laissait entrouverte la porte, bien que minuscule, des problématiques liées aux populations d’ascendance africaine notamment celles des discriminations et de la mémoire de l’esclavage. La preuve que cette petite porte s’est bien refermée, le discours, après la proclamation des résultas, du futur locataire de l’Elysée annonçant incontestablement la couleur à travers ces mots « Je veux en finir avec la repentance qui est une forme de haine de soi, et la concurrence des mémoires qui nourrit la haine des autres ». Comprenne qui pourra. La messe est dite. Il va de soi que ces mots ont un sens politique fort au moment où tente d’émerger une question noire en France sur fond de reconnaissance mémorielle et de revendications égalitaires. Les Noirs sont donc prévenus.


Les différentes associations noires notamment le CRAN qui ont tenté de faire entendre la voix des mélanodermes tout au long de la compagne des présidentielles à travers un questionnaire, à en juger par l’intérêt que les différents candidats y ont accordé, ont dû se résoudre à cette conclusion fataliste « que c’est dur d’être Noir en France ». Si le Collectifdom peut se réjouir de la nomination de son ancien bouillant président Patrick Karam au poste de délégué interministériel pour l’Egalité des chances des Français d’outre-mer, rien n’indique que le sort des domiens, dans cette nouvelle France qui se dessine sous la présidence de Nicolas Sarkozy, est une affaire réglée d’avance.

Le rapport 2006 de la Halde, l’Autorité qui a pour mission de lutter contre les discriminations, se lit sans commentaires. Inutile de rappeler que les Noirs restent les laissés pour compte de la République. Aussi est-il aisé de constater que les luttes symboliques, qui se résument à une meilleure présence des citoyens d’ascendance africaine dans le paysage politique et médiatique, demeurent sans coup férir des combats ingrats sans grand espoir. C’est à ce titre qu’il faut poser la question de l’efficacité de toutes ces batailles somme toute indispensables et honorables, mais qui ont besoin incontestablement de s’inscrire dans la durée.

Dans cette nouvelle France décomplexée, sans gêne, libérée de la chape de plomb que constituait le discours antiraciste convenu d’inspiration républicaine, la négrophobie creuse son trou se nourrissant de surcroît d’une rhétorique présidentielle infantilisante sur l’Afrique et l’homme africain. Cet homme qui n’est pas assez entré dans l’Histoire, le drame semble-t-il de tout un Continent. A côté de ce discours aux relents colonialistes, se trouvent des faits qui viennent chaque jour confirmer le portrait d’une communauté noire divisée, isolée et marginalisée sans grand intérêt pour l’entité nationale. A en juger par l’indifférence quasi générale dans laquelle croupissent les victimes de cette négrophobie rampante et de plus en plus assumée. Est-il nécessaire de rappeler les noms de Ange Mungeni, Frédéric Dumesnil, Ibrahima Sylla, Lamine Dieng, ignorés et oubliés par l’Etat et la justice du pays des droits de l’Homme.

Toutefois on peut se réjouir d’une chose : la défaite des mouvements antiracistes (SOS Racisme, MRAP etc…) dans leur combat contre les injustices des minorités visibles a permis l’émergence des structures communautaires mieux à même de défendre leurs intérêts, sous réserve de leur instrumentalisation à des fins de réussite personnelle. De l’ANC (Alliance Noire Citoyenne), à l’AfricaAgora, en passant par le Cran, AfricaMaat, DiversCités, GKS, Collectifdom, MNH, un rayon de prise de conscience collective semble poindre dans le ciel nuageux d’une France orgueilleuse, nostalgique et sans remords qui continue de regarder de haut ses citoyens d’ascendance africaine. Ces structures si elles réussissent le pari de se fédérer et de parler d’une seule voix pourraient au-delà de leurs différences et spécificités créer une véritable force politique qui fait défaut aux afrodescendants dans l’espace public hexagonal. Mais pour cela, elles doivent résoudre une équation à trois inconnus se déclinant sous les problématiques de mémoire, identité et citoyenneté.

La problématique mémorielle s’impose comme la pierre angulaire de cette lutte pour l’égalité des droits. Elle constitue la trame sinon le référent fondamental sans lequel on ne peut légitimement parler d’histoire commune avec la France. Parce que la présence en France des afrodescendants est intimement liée au passé douloureux et honteux de l’esclavage et de la colonisation que d’aucuns veulent réduire en bouillie ou encore instrumentaliser au nom de l’anticommunautarisme. Cette vérité historique doit toujours être rappelée afin de clouer le bec à tous ceux qui continuent d’entretenir la suspicion sur la présence nègre hexagonale. La question de la reconnaissance et de la dignité sociale des afrodescendants au sein de l’ensemble national est indissociable de ce travail de mémoire.

L’autre problématique qui se greffe sur la question noire, c’est la structuration des masses noires en communauté unie et forte. Peut-on fonder une identité commune sur la base de la couleur de la peau ? Les anti-communautaristes, sous le prétexte fallacieux de défendre l’unité de la République, ont introduit un biais dans la problématique de la question noire, en opposant les Nègres d’Afrique et des Antilles, à grand renfort de reportages, débats télévisuels afin de décourager et discréditer toute velléité unificatrice au sein des populations noires. Les plus fragiles et naïfs d’entre nous sont tombés dans ce piège à gogo pour le bonheur et le plaisir des anti-communautaristes qui préfèrent stigmatiser le combat citoyen des afrodescendants et fermer les yeux sur les vraies fermetures communautaires observées chez certaines populations. Ainsi que le tigre ne clame pas sa tigritude, l’identité nègre n’est pas à démontrer tant elle dispose d’éléments tangibles sur laquelle elle peut se fonder à savoir notre culture et notre histoire communes au-delà de nos attaches géographiques et spatiales. Il faut se départir de l’idée qu’il s’agirait uniquement d’une solidarité épidermique, de couleur sans véritables liens ancestraux. La violence symbolique du regard portée sur tous les Noirs de la Planète devrait inciter à constituer un front uni au-delà de nos spécificités et appartenances géographiques.

Enfin, il faut se rendre à l’évidence que parler de citoyen noir en France, c’est presque prendre ses vessies pour des lanternes tant l’égalité effective promise par la République ne se vérifie pas encore dans les faits. Le citoyen noir français n’existe pas encore. Et cela n’a pas de sens au regard de sa marginalisation politique, économique et sociale. C’est un sous homme réduit à sa couleur de peau et dont la présence ici ou là n’est que tolérance, alibi, faux-semblant, bouche-trou. C’est la raison pour laquelle les luttes actuelles doivent inscrire la citoyenneté pleine et effective des afrodescendants comme un impératif. Pour asseoir celle-ci et ne plus rester les citoyens parias de la France, il faut s’organiser, donc constituer une force politique qui a voix au chapitre. Dans ce pays où l’Altérité est assimilée à la menace, être reconnu dans ses droits et ses devoirs est un combat permanent. La citoyenneté pleine et effective est à ce prix.

C. N.

mardi, août 28, 2007

La sorcellerie, l'autre fléau de l'Afrique





Malgré le développement de l’instruction et la diffusion du savoir moderne, la croyance dans la réalité de la sorcellerie reste très tenace en Afrique. Ancrée dans l’inconscient collectif des Africains, la sorcellerie continue, cependant, d’échapper comme par magie au regard des scrutateurs du Continent noir. Peut être l’ont-ils définitivement rangé dans les placards poussiéreux des idées reçues colportées jadis par l’ethnologie des premiers missionnaires. Et pourtant, ce phénomène étrange, mélange de pratiques occultes et de rituels maléfiques, sévit en Afrique. Pis, il tue même, causant des dégâts irréparables et irréversibles pour les victimes. Aux yeux des africains eux-mêmes, il figure parmi les plus terrifiants et meurtriers désordres socio -culturels qui ravagent les sociétés africaines.


Récemment la presse sénégalaise rapportait le fait divers d’un supposé rétrécisseur de sexe lynché à Guinaw Rails par une foule en furie sans qu’aucune preuve tangible n’ait pu être établie contre lui. L’hystérie qui s’est emparée des badauds témoins de l’événement donne la mesure des excès auxquels se livrent parfois de façon inattendue des masses sans repères. Dans une Afrique encore sous l’emprise des mythes du passé, ces réactions populaires excessives aux allures de délires collectifs ont encore de beaux jours devant elles. Symptomatiques des résistances au changement, à la modernité, celles-ci traduisent cette part ambiguë des croyances et pratiques sociales érigées parfois en grille de lecture face à un présent incertain et complexe.

Kemet n’a pas engendré que la Maat. Devant les ravages de la sorcellerie, la vision d’une Afrique idyllique et pré-adamique ressemble davantage à une vue de l’esprit. De Pretoria à Lagos en passant par Kinshasa, Brazzaville, Cotonou, la rue africaine se fait régulièrement l’écho de récits aussi effroyables qu’invraisemblables sur les sorciers. Ces hommes et ces femmes, sous l’emprise de forces obscures, malfaisants, mangeurs nocturnes d’âme ou de chair humaine. On dit parfois qu’ils ont un « double maléfique » qui commettrait nuitamment leurs forfaits. En raison de leurs pouvoirs démoniaques supposés ou réels, les sorciers sont censés agir de façon positive ou négative sur leurs semblables. C’est en cela qu’ils sont craints. Et pour preuve, il suffit de se rendre dans les nouvelles églises charismatiques qui ont essaimé un peu partout en Afrique pour comprendre lé désarroi que ces supposés jeteurs de sorts provoquent chez de nombreuses personnes.

Il y a une vingtaine d’années, la rue congolaise colportait le récit effarant d’un groupe de sorciers qui auraient réussi à faire décoller de l’aéroport International Maya Maya un petit avion fabriqué avec du bois de brousse dénommé « Air Makanda ». Ce fut une grande première dans l’histoire de la sorcellerie africaine. Selon la rumeur, cet avion aurait même atterri à l’aéroport de Roissy Charles de Gaulle sous le regard médusé des « blancs » qui eurent du mal à identifier l’étrange oiseau nocturne. C’est à se demander si la scène se passe dans le monde invisible ou physique. Toujours est-il que le récit reste gravé dans la mémoire des congolais qui le racontent encore avec moult détails ahurissants. Mais il arrive parfois que les « histoires de sorciers » passent de l’anecdote croustillant à la réalité tragique. Dans une Afrique en perte de vitesse, les sorciers sont au banc des accusés.

J.P. a failli attenter à la vie de son père en apprenant par la bouche d’un guérisseur que ce dernier était à l’origine de ses échecs professionnels et de la mort de sa mère décédée des suites d’une psychose inconnue. L’envoûtement supposé de son mari atteint d’un mal incurable a conduit Marie L. à prendre des distances avec sa belle famille. Pour s’être retrouvé un jour nez à nez avec un serpent alors qu’il conduisait, Mboulamatari, chauffeur de taxi de son état, a décidé de mettre le feu au domicile de son géniteur. Tout aussi bouleversant l’histoire de ce jeune homme qui a renié ses parents après la disparition brutale de sa sœur cadette dans des circonstances mystérieuses. Si les victimes des sorciers sont souvent des enfants, ceux-ci deviennent eux-mêmes parfois l’objet de suspicions de la part de leurs propres familles qui les rendent responsables de toutes sortes de maux (décès, deuil, divorce, accident, pauvreté..). A l’image des enfants sorciers en RDC (République démocratique du Congo). Ainsi de nombreux conflits familiaux naissent chaque jour en Afrique à cause de la sorcellerie supposée ou réelle d’un proche.

Phénomène redouté, la sorcellerie est l’objet de toutes sortes de spéculations. Certains vont jusqu’à croire à une sorcellerie positive : pourquoi les sorciers d’Afrique ne mettent-ils pas leur pouvoir au service du développement du Continent au lieu de s’en prendre à leurs -semblables ? « Les sorciers naissent pour nuire et non pour faire le bien », rétorque sèchement, Lydia, adepte et membre actif des nouvelles églises. Les sorciers, poursuit-elle, ne savent faire autre chose que le mal. Ils ne sont capables de rien d’autre. « La sorcellerie », explique t-elle encore, « est une forme de pathologie morbide compulsive qui pousse l’individu maléfique à projeter le mal qui le ronge sur les personnes vulnérables. C’est pourquoi ces derniers, pour s’en débarrasser, doivent recourir aux services d’un guérisseur». Autant dire que les défis africains du XXI ème siècle sont nombreux et incalculables. La sorcellerie tout comme les néo-églises en font partie. La Maat étant incompatible avec celles-ci, le combat pour la renaissance africaine ne doit pas se soustraire à la dénonciation des pratiques qui demeurent autant de freins à l’émergence d’un Continent nouveau.

C. N.