Affaire M'VILA : Point de vue intéressant d'un Négronaute qui revient sur les sanctions sportives que le milieu de terrain rennais a écopées avec d'autres joueurs de l'équipe de France Espoir pour une virée nocture. Bonne lecture
Le vent punitif qui souffle sur l’équipe de France de football depuis sa déconfiture au mondial 2010 en Afrique du sud continue de faire des victimes et toujours les mêmes. Dernière en date, le franco-congolais Yann Mvila qui vient d’écoper d’une lourde sanction de la commission fédérale de la discipline de la FFF. Pour avoir été à l’initiative d’une virée nocturne en discothèque avec des coéquipiers de l'équipe de France Espoirs, il est privé des sélections nationales jusqu’en juillet 2014. Ce qui veut dire que le jeune footballeur de 22 ans peut faire ses adieux, du moins provisoirement, au maillot tricolore tout comme ses copains fêtards Wissam Ben Yedder, Antoine Griezmann, Chris Mavinga et Mbaye Niang suspendus, eux, jusqu'au 31 décembre 2013. Un précédent qui laissera sans doute des traces d’autant que cette sanction vient allonger la liste des exclusions de joueurs basanés en sélection nationale après celle de Nicolas Anelka et de Samir Nasri.
La sévérité de cette sanction est d’autant plus risible et injuste qu’elle tranche avec les récentes mesures prises à l’endroit des joueurs de handball dont les frères Karabatic impliqués dans une affaire de paris truqués autour du match de championnat Cesson-Montpellier. Bien que la ligue nationale de Handball prévoit des sanctions disciplinaires à l’encontre de sept joueurs impliqués, certains ont depuis réintégré leurs équipes respectives et la sélection nationale à l’instar de Nicolas Karabatic. Ce qui veut dire en gros, « circulez, il n’y a rien à voir », malgré le tapage médiatique fait autour de cette affaire. A croire que les leçons d’exemplarité dont on nous rabat les tympans quotidiennement ne concernent que des cas biens spécifiques : des basanés, qui en plus, ont quelques soucis de comportement se résumant pour la petite anecdote à : faire la teuf avant un match et réagir à chaud après un match devant des journalistes un peu zélés et tendancieux.
En tous les cas, ces sanctions concernant Yann M’Vila et ses coéquipiers créent un précédent puisque tout joueur reconnu coupable de teuf avant une rencontre sportive peut désormais, on y veillera, s’exposer à une interdiction de porter le maillot tricolore. C’est bien le principe d’une sanction qui se veut exemplaire et juste : elle doit pouvoir s’appliquer à tout le monde sans aucune forme de discrimination. De quoi donc se demander si les pontes de la fédération ne sont pas allées trop loin ? Ont-elles pris la mesure de cette décision qui semble disproportionnée par rapport aux faits reprochés au milieu de terrain rennais et à ses camarades de jeu quand bien même ce dernier était déjà sous le coup d’une sanction ? Les responsables de cette commission auraient-ils eu la même intransigeance si la France n’avait pas perdu ce match retour des barrages de l’Euro 2013 contre la Norvège ? L’on présume que non.
Par ailleurs, si aucune clause dans le contrat liant les joueurs à la FFF leur interdit de « s’lacher » comme ils disent, avant une rencontre, l’on ne voit pas ce qui peut justifier une telle sanction. Que Yann M’Vila et ses coéquipiers écopent d’un blâme pour défaut de prise de conscience face à une échéance qualificative, cela peut se comprendre. Mais l’on ne voit pas ce qu’il y a de répréhensible dans le fait de batifoler trois jours avant une rencontre quelle qu’en soit l’importance. S’il s’agit de les punir pour mauvais résultat, il existe d’autres façons de faire comprendre à des joueurs leur mauvaise performance.
De toute l’histoire du sport, les exemples de sportifs sanctionnés pour virée nocturne ne sont pas vraiment légion. Parmi les cas ayant défrayé la chronique récemment, on peut citer celui du sprinter de Saint-Kitts-et-Nevis, Kim Collins, qui s’est vu interdire, pendant les JO de Londres, de prendre part aux séries du 100 m pour avoir passé la nuit à l’hôtel avec sa femme. Sa fédération à l’époque avait donné un son de cloche différent mettant en cause le professionnalisme de l’athlète qui n’avait pas donné suite à de nombreux appels de son directeur d’équipe. Dans tous les cas, ces décisions, lourdes de conséquences pour les sportifs, sont parfois disproportionnées et entachées d’un soupçon de zèle.
Aussi exemplaires qu’elles se veulent, ces sanctions frisent un brin le ridicule lorsque l’on sait que le cocktail « bière, teuf et sexe » est la chose la mieux répandue dans les milieux sportifs. L’on voit mal comment les pontes de la commission de discipline vont pouvoir réitérer cette sentence à chaque rencontre sportive, qui de plus, mettrait sur la touche un nombre incalculable de joueurs. Ce cocktail est une pratique culturelle, au mieux un « habitus » footballistique au sens bourdieusien qui s’est emparé de tous les footeux de la planète qui en raffolent et en connaissent les vertus énergisantes. Très prisé par les professionnels et les amateurs, ce rituel, qui fait monter l’adrénaline avant et après une rencontre sportive, est devenu « un code de vie », « un code de reconnaissance », inscrit dans les gênes de tous les footeux.
Ainsi, au-delà des faits incriminés aux joueurs, un parfum de sacrifice plane au dessus de cette décision. Elle transpire, à bien des égards, une stratégie de gros muscles pour les hiérarques de la FFF engagés dans la bataille pour sa présidence dont le scrutin est prévu pour le 15 décembre. Pour une grande partie des Français, ces sanctions sont ridicules et incompréhensibles. Celles-ci dissimulent mal les contradictions et les doutes qui assaillent cette fédération depuis la rébellion avortée des Bleus à Knysna en 2010 et l’affaire des quotas honteux révélée par Médiapart en 2011. Elles ne sont pas loin de traduire une crise de vision au sein de cette fédération sommée de choisir entre une vision racialiste du football et une vision fondée sur les performances et les qualités sportives des joueurs. Les leçons d’exemplarité, dont suinte la rhétorique moralisante, pompeuse et plate des responsables du foot français, sont le cache-misère d’une politique du ballon rond en mal d’inspiration qui ne sait plus vraiment sur quel pied aller droit au but.
A. M.